Les Prénumériques : réponse à Jacques-François Marchandise

Dans son article sur les Prénumériques, Jacques-François Marchandises de la FING soutient à propos de ce que nous vivons aujourd’hui en matière de technologies de l’information, et plus généralement à propos du progrès, une thèse dont mon interprétation est la suivante : “tout change, mais en fait pas trop…”

En deux mots, je ne partage pas tout à fait ce point de vue. Pour prendre l’exemple de l’avènement du chemin de fer et de son rôle dans la révolution industrielle, on pourrait dire que le changement n’était pas si grand, puisqu’avant on avait les carrosses et que peu de temps après on a eu les voitures. Mais c’est nier deux choses : le fait que le changement est qualitatif (ce n’est pas uniquement une amélioration de l’existant) et surtout le fait que ce changement a lieu sur une plage de temps très courte. C’est ce qu’on vit depuis 10 ans (du premier téléphone portable à la généralisation de Twitter aujourd’hui : 10 ans à l’échelle de l’histoire, c’est court) et c’est pour cela qu’on peut légitimement appeler ça une révolution de l’information. Pour comparaison, qu’est-ce qui avait changé dans la diffusion de l’information depuis la généralisation du téléphone (1920 aux US, 1945 en France) et jusqu’à 1995 ? Arguablement, pas grand chose…

3 thoughts on “Les Prénumériques : réponse à Jacques-François Marchandise

  1. Bonjour, je crois que je me suis mal fait comprendre en somme…

    – Il y a des choses considérables qui changent, la meilleure preuve est la liste de changements “ordinaires” par laquelle commence le papier (et qui renvoie sur ce point à un papier précédent, Observer les changements ordinaires).
    – Mais ces changements dépassent le prisme “numérique” et ils se combinent, pour la plupart, avec d’autres types de changements lourds que nous vivons (par exemple financiarisation-mondialisation-pression foncière-évolutions démographiques et vieillissement- enjeux environnementaux).
    – Et ces changements ne se font pas par substitution pure et simple : quand le numérique arrive, le prénumérique est toujours là. Si on raisonne comme Bruno Latour en “Anthropologie symétrique”, on voit ces évolutions numériques comme un fait de civilisation et non de technologie.
    – Enfin, ces changements ne sont pas linéaires avant-après, ou du moins pas tous, il y a des fourches et des boucles.
    J’espère que ces petites précisions vous éclaireront et rendront mon propos moins douteux et votre interprétation moins univoque – ce qui ne veut pas dire qu’on doive être d’accord avec mon propos, il est livré pour qu’on en parle.

    Dernier point, je pense qu’on peut éviter “négationniste” (je comprends l’idée, c’est le mot qui me semble à manier avec précaution, mais je suis politiquement correct et je l’assume…).
    Merci, en tout cas, de cette réaction qui m’amène à préciser.

    jfm

  2. En fait j’ai réagi assez rapidement à votre article, intéressant par ailleurs, et surtout au commentaire qu’un de mes amis en a fait sur Facebook. Sans me permettre de recopier in extenso sa contribution, je citerais juste un passage révélateur :
    “le but de l’article est de remettre à leurs places les geeks qui lisent ce site et qui pourraient avoir tendance à croire que tout change, que les vieux sont des nazes qui ne comprennent rien et qu’ils appartiennent à une génération particulière qui ferait le lien entre un monde prénumérique et un autre intégralement numérique”

    Je voulais surtout m’élever contre la tentation inverse, celle de relativiser à outrance les changements de la “société numérique” en arguant que le progrès est toujours linéaire et qu’en tout temps, les jeunes pensent qu’ils vivent une révolution…

    Julien

  3. OK, je sous-estime l’hypothèse d’un conflit de générations (ayant longtemps été jeune…), cet échange m’en fait prendre conscience. Et comme à chaque fois qu’on essaie de dire “c’est plus compliqué que la vision binaire de l’innovation magique contre la nostalgie moisie)”, on finit en eau tiède, tout est dans tout et c’est pas si pire que si c’était moins bien.
    Mais dans les deux visions antagonistes, celle des anciens et celle des modernes, on trouve toujours la compréhension linéaire – et pour moi c’est ça le problème. Nous sommes confrontés à de nombreux changements, subis ou choisis, et souvent contradictoires (par exemple, le numérique renforce les pouvoirs et les contre-pouvoirs; il renvoie vers les livres ou permet de s’en passer).

    Plutôt qu’une opinion, je cherche plutôt une boite à outils critiques, des méthodes pour comprendre ce qui change, ce qui se perd, ce que le numérique apporte, ce qui est invariant. Avec cette boite à outils, on peut observer ce qui change avec le numérique dans le fait de trouver son chemin, de prévenir les secours en cas d’accident, de travailler à domicile (3 domaines où ça change beaucoup). Dans ces 3 domaines la compréhension du prénumérique aide l’innovateur à comprendre ce qu’il apporte et à prendre appui sur les pratiques préexistantes, ou non, et encore à prendre en compte des contraintes non-numériques (les outils sont peut-être adaptés au travail à domicile, mais mon domicile ne l’est pas forcément, ni mon organisation familiale, ni le droit du travail).
    à bientôt
    jfm